Depuis ce matin, il se passe des choses étranges dans cette maison. Des poissons volent dans mon salon et des araignées bleu-turquoise nagent dans ma baignoire. J’ai bien essayé d’en parler à mon voisin mais, dès que j’ouvrais la bouche, ce n’était pas des mots qui en sortaient mais des milliers de papillons colorés. Tandis qu'ils s'envolaient par la cheminée, mon voisin me regardait, interloqué. J’ai tenté alors de dessiner; mais dès que j’ouvrais la main pour attraper le fusain, des fleurs de toutes les couleurs en jaillissaient. Célestin m’a dit: « J’ai les pétoches, il y a quelque chose qui cloche ! » C’est vrai, quelque chose ne tournait pas rond : Des poissons dans mon salon et des araignées au mois de mai, ce n’était pas la saison ! Fallait que je maîtrise la situation ! Je n’avais pas d’autre solution. Pour récupérer mes poissons qui avaient perdu la raison, j’ai pris mon turlipon. Mais au moment où je me suis approché, ces cornichons ont tellement crié qu’ils ont effrayé toutes les tuiles de la maison. Heureusement pour moi, même dans l’agitation, mes tuiles ne perdent jamais le sens de l’organisation ! Faut dire que lorsque je les avais achetées, je n’avais pas lésiné sur la qualité. Enfin bref, comme disait Pépin, qui n’avait jamais eu de tuiles mais des parapluies, j’ai eu de la chance. Dans leur chute, les miennes se sont arrangées pour former un escalier parfait. Il ne me restait plus qu’à monter ! Au cours de mon ascension, j’ai croisé trois coccinelles. Je leur ai dit que c’était complètement idiot d’aller là-haut puisqu’il n’y avait aucun coquelicot ! Contrairement à Célestin, elles ont toutes compris de mon langage papillon ! Sans doute étaient-elles branchées sur la même longueur d’ailes ?... Toujours est-il que cette petite conversation volatile m’a permis de faire un constat : Mes papillons avaient de plus en plus de mal à grimper. L’altitude sans doute ! J’ai donc continué à monter, à monter sur mes tuiles bien rangées et tous mes lépidoptères se sont évaporés. Enfin libérée ! Lorsque je suis arrivée tout en haut, je dois avouer que j’ai eu un peu peur d’un malheur. La pile immense de tuiles tanguait dangereusement. Mon corps élastique tentait de suivre ce mouvement de basculement. J’étais, pour ne rien vous cacher, assez angoissée. D’où j’étais, je me voyais dégringoler de cet escalier pour finir ratatinée comme une vieille grenouille séchée. Fort heureusement pour moi, un nuage eut la bonne idée de passer par là. Ni une ni deux, je m’y suis accrochée et j’en ai d’ailleurs profité pour en gober quelques succulentes bouchées. Tout nuageux délicieux qu’il était, il m’a demandé : « S’il te plaît, ne me mange pas tout entier car je dois aller arroser les blés. Et puis, tu vas tomber ! » « Oh oui, c’est vrai ! » lui ai-je répondu toute gênée. « Je suis sincèrement désolée. Je vous prie de bien vouloir m’excuser ! Je n’ai pas pu résister... Vous êtes tellement frais, tellement mouillé que j’en suis encore toute retournée. » Très sûr de lui, il a ajouté qu’il produisait toujours cet effet. J’ai trouvé qu’il exagérerait mais bon... je n’allais quand même pas le vexer alors que j’étais allongé sur lui ! Et puis je sentais qu’il avait des soucis. Ce nuage-là avait besoin de tendresse ! Alors, après quelques caresses, il m’a confié qu’il avait eu dernièrement des problèmes avec le vent. Celui-ci, fatigué, avait eut envie de souffler. Il s’était assis sur un rocher pour écouter les vagues chanter. Si bien que mon nuage s'était trouvé coincé, juste au-dessus de la Méditerranée. Il m’a dit aussi que les oiseaux migrateurs n’étaient jamais à l’heure et que si le soleil faisait la sourde oreille, c’est parce qu’en réalité il avait perdu son réveil. Pendant que mon nuage se confiait, Borée déposait quelques baisers sur mes joues rosées. Doucement, mes paupières se sont fermées, je me suis laissé aller dans les bras de Morphée. Quand je me suis réveillée, j’étais allongée sur une planète où il y avait un mouton à deux têtes qui jouait des castagnettes. Juste à côté, un p’tit prince mettant sous globe une rose et me demandant si, par hasard, je connaissais le langage papillon et si je n’aurais pas dans mes poches un turlipon pour attraper les poissons... Enfin quelqu’un de bien ! Adieu Célestin. Je n’avais donc pas perdu la raison !... J’avais bien fait de quitter ma maison.
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