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Photo du rédacteurMartine Marie

Dépression chérie

A l’institut international de psychiatrie, les hommes en blouses blanches s’agitent. On vient de capturer une dépression. C’est « le cas » du siècle. Jamais ils n’ont eu affaire à un tel spécimen. En matière de déprime, ils ont débusqué la championne toute catégorie ! Avant de commencer la séance, pour fêter ça, ils s’offrent une petite coupette de champagne.


Pendant ce temps-là, dans un coin, toute recroquevillée sur elle-même, la dépression sanglote. Même en imaginant le pire, jamais une seule fois elle n’aurait cru finir ici, « disséquée » comme un vulgaire rat de laboratoire. En réalisant la tristesse de sa situation, la dépression se met à pleurer de plus belle. Tout ça est terrible, affligeant et pathétique !


Le temps passe, les coupes de champagnes sont vides. Il faut se mettre au travail. Autour de la malade, tout le monde s’active. L’un va chercher le sérum de vérité, l'autre une cargaison de mouchoirs en papier; quant au psychiatre qui va mener l’interrogatoire, il vérifie que l’enregistrement est prêt à fonctionner.


Tout va désormais très vite : Deux gros balaises saisissent la dépression et l’allongent sur un divan. Le docteur plante le bout de l’aiguille dans la veine et injecte le liquide. Tout le monde retient son souffle, la dépression va enfin dire la vérité. Le psychiatre commence :


- Vous avez toujours été comme ça ?


- Je ne sais pas... Il faudrait demander à ma mère.


- Elle vit toujours ?


- Oui. Elle est internée à la Trinité.


- Racontez-nous. Qu’est-ce qui vous déprime ?


- Tout ! Le monde, ma vie, mes amis et même ce qui arrive aux amis de mes amis. Je dois avouer que nous vivons une époque formidable. Le monde regorge de drames, de souffrances et d’histoires toutes aussi tristes les unes que les autres. Ce n’est pas très compliqué d’être déprimé. Cela demande très peu de volonté.


- Pouvez-vous développer ?


- Bien sûr. Dernièrement par exemple, chose extraordinaire, j’étais à cours de problèmes. Les relations avec mon mari étaient plutôt bonnes, mes enfants allaient bien, moi-même j’étais dans une période sereine. Bref, un bon et vrai début de bonheur. Et ça, voyez-vous, c’est le comble de l’ironie pour un dépressif. Heureusement, il y a la télé. Je l’ai allumée. Je suis tombée direct sur un reportage hyper déchirant. Il s’agissait du quotidien d’une femme seule avec ses quatre enfants. Sa vie, c’était du Zola. J’ai eu le cœur en pleurs pour la fin de la journée.


- Vous n’avez pas d’amis pour vous remonter un peu le moral ?


- Si bien sûr, mais ils sont aussi déprimés que moi. Vous savez, je les ai triés sur le volet ! Pas un seul n’est équilibré. Ce qui est bien avec les drames des autres, c’est qu’on peut se sentir affecté sans être directement concerné. Le pied !


- En fait, vous vous masturbez aux problèmes ?...


- C’est un peu ça, c’est vrai. Mais je dirai plutôt que je suis une boulimique de malheurs. Je suis très gourmande en la matière. Parfois, j’avoue, il m’arrive d’abuser. Et là, c’est l’indigestion.


- Que faites-vous dans ces cas-là ?


- Oh c’est simple, je vais chez mon fournisseur.


- Votre fournisseur ?


- Oui mon docteur ! Il me refile anxiolytiques et antidépresseurs. Je crois que j’ai tout essayé : Le citalopram, le deroxat, le cyymbalta, le bromazépam, le stilnox, le lysanxia, etc. C’est joli vous ne trouvez pas ? On dirait des noms savants de fleurs...


- Je n’avais jamais vu ces traitements sous cet angle-là. Mais dites-moi, à force d’en prendre, vous devez avoir des effets indésirables, très désagréables.


- Oui, c’est vrai. Quelques tremblements, des oublis et de l'euphorie quelquefois. Mais c’est le prix à payer.


- Votre docteur vous en donne à chaque fois que vous allez le consulter?


- Oui !


- Comment c’est possible ?


- Il est aussi déprimé que moi ! Faut dire qu’il cumule. Entre ses malades, son crétin de fils, sa femme qui le trompe et sa mère qui a la maladie d’Alzheimer... Il a de quoi faire ! La seule fois où je suis sorti de chez lui sans médicaments, c’est parce qu’il était en congé. Ce jour-là, je suis tombée sur son remplaçant. Un Incapable ! L’horreur ! Vous savez ce qu’il m’a dit ?


- Non...


- « Madame, il serait temps de cesser de prendre ces médicaments. Je vous conseille un psychiatre pour régler vos problèmes. » Moi ? Aller voir un psychiatre ? Ça, jamais ! Je ne suis pas folle tout de même ! Alors je lui ai foutu mon sac à main dans la gueule et je suis partie. Remarquez, grâce à lui, j’ai peut-être vécu le moment le plus intense de ma vie.


- Comment ça ?


- Eh bien en rentrant chez moi, j’étais tellement furieuse que j’ai descendu deux bouteilles de whisky et j’ai avalé un reste de somnifères. Ma fille est arrivée et a appelé les pompiers. Ils m’ont envoyé dans le service psychiatrique de l’hôpital général. Et là, je dois dire que j’ai été plongée dans le summum de la déprime. Jamais je n’ai autant souffert. Jamais je n’ai eu aussi mal. Mon dieu, c’était formidable !


- Donc vous avouez aimer souffrir?


- Bien sûr que oui ! La souffrance, c’est rassurant. Ca n’arrive qu’aux vivants! Quand vous avez bien mal, il y a un moment où vous pourriez presque jouir au cœur de votre douleur. Et puis, quand vous souffrez et que vous pleurez, vous ne vous ennuyez pas. C’est un peu comme si vous étiez sur une barque posée sur une mer déchaînée ou mieux, que vous assistiez au désastre d’un tsunami. Ce genre de paysage vous prend direct aux tripes. Pour moi, rien n’est plus emmerdant qu’une chaumière dans le Calvados au milieu d’une prairie un joyeux jour de printemps. Moi ce que je dis c’est que le bonheur simple est terrifiant.


Autour de la dépression, tout le monde resta bouche bée. Personne ne s’attendait à une telle confession. Les effets du sérum de vérité commençant à se dissiper, la malade se remit à pleurer et à implorer qu’on la libérât.


Le psychiatre se demanda ce qu’il devait faire...L’interner ou la laisser partir ?...Quelle que fût sa décision, de toute façon, il n’arriverait jamais à lui rendre la raison. Il réfléchit longuement et appela deux infirmiers.


- Enfermez-là chambre 14.


Les deux infirmiers se regardèrent étonnés. L’un d’eux tenta :


- Vous êtes sûr ? Ils sont « atteints » les résidents de la chambre 14.


- Oui je sais. Mais mon job, c’est de rendre les gens heureux... Alors si son bonheur à elle, c’est le malheur, que voulez-vous que j’y fasse ?

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